J’ai fait connaissance de Lhoucine Aguinou instituteur et président de l’association de développement d'Agullouy (commune d'Amtoudi), lorsque j’ai visité son village pour la première fois en 2003.
Il m’explique que le grenier est un lieu en partie abandonné par la population par manque de dynamique autour d’un projet fédérateur. Pourtant entre 1997 et 2005, des enquêtes archéologiques européennes ou euro-marocaines se sont succédé sur le site. En mars 2003, l’Etat débloque des fonds pour faire des travaux de consolidation du grenier dans le cadre d’un plan de lutte contre le chômage rural. Cependant, une réhabilitation suppose quelques règles que ne connaissent pas toujours les ouvriers. Choisis dans le cadre de la lutte contre le chômage, ils sont livrés à eux-mêmes sur le chantier. Ils opèrent d’importantes modifications du plan originel du grenier et compromettent sans le savoir l’équilibre structurel de certaines zones. De nombreux objets ont été retirés du grenier ainsi que de celui voisin d’Id Aïssa, pour rejoindre des collections de musées européens comme le Musée Royal de l’Afrique Centrale (Tervuren Belgique) en 1998[1]. L’association du village a pris en charge la gestion du grenier. Son président espère refaire un code de gestion du lieu, conforme aux pratiques actuelles tout en retranscrivant la mémoire du code ancien disparu dont les doyens gardent en mémoire les règles. Les derniers objets abandonnés par leurs propriétaires dans le grenier sont recueillis par l’association de développement pour freiner les disparitions et les dégradations, en vue de constituer un futur musée du grenier.
En décembre 2003, nous constatons que le grenier s’est effondré sur l’une de ses faces, et qu’il serait facile de le réparer et peu coûteux, je propose de m’en charger.
En février 2004, étant invité par le président de l’association, nous avons pris en charge la phase de sauvetage de la façade Ouest en péril. Le projet est présenté pour la première fois lors de la fête d’Id Kbir de février 2004 en séance plénière de l’association de développement d’Aguelluy. La proposition concrète a créé immédiatement une émulation. Certains membres proposant de compléter mon apport financier pour prolonger le chantier de quelques jours. Les ouvriers ont dit qu’ils étaient prêts à travailler gratuitement, je ne veux pas, ils ont des enfants et travaillent durs. Nous acceptons la mise à disposition de mules (pour l’eau) mais pas de leur force de travail. Avec des ouvriers du village, nous avons stabilisé certaines ruines et revu l’étanchéité du niveau supérieur et de la tour de garde. Nous avons également coiffé d’un auvent l’escalier des niveaux supérieurs.
La réhabilitation a été suivie sur place par Lhoucine Aguinou et Haj Abderahman Driouch appuyés par tous les membres du village. Le grenier redevient un lieu de vie et de discussion.
Une équipe d’ouvrier de maalmines est formée. Cette équipe restreinte est composée d’individus volontaires reconnus pour leur probité et leur professionnalisme. L’exiguïté des espaces empêche de multiplier les équipes. Abdellah Baya, Lahcen Ba Moh, Mohammed Amarir, Hassan Ourah, Brahim Aderdor, les ouvriers du chantier, instaurent un dialogue constant entre eux et les doyens et moi sur la pertinence des techniques à utiliser. Chaque décision est prise dans un consensus où seul l’intérêt et la qualité de la restauration prime. L’autorité locale en la personne du caïd, et le Wali de Guelmim de l’époque, Ali Kabiri qui avait eu l’initiative des premiers chantiers de réinsertion, accompagnent le projet et saluent l’initiative de la communauté.
Certains planchers se sont couchés et tout s’est effondré, il faut donc tout vider, en triant la matière qui est mise dans 4 espaces différents : pierre, bois, terre, et ce qui n’est plus utilisable. Les actions sont très lentes parce qu’il faut sans cesse vider pour remplir ailleurs, un vrai travail de fourmi. Les ouvriers passent beaucoup plus de temps à charrier la matière qu’à monter les murs. Ils en retirent une grande frustration durant les premiers jours.
Le chantier est plein de leçons, on comprend que les anciens avaient prévu de ne pas construire trop souvent (ils ne le pouvaient pas) et d’anticiper sur les désordres à venir. Les structures sont tenues sur plusieurs côtés. Les structures sont harpées verticalement et horizontalement. Les pierres sont également choisies dans leur mise en œuvre pour la pérennité.
Nous ne cessons de jouer sur la légèreté, la restauration – ne rien transformer de ce qui s’y trouvait – et de rendre les structures les plus solides possibles, les doublant, les triplant pour être sûr de leur pérennité.
Lors de cette première phase, nous avons donc consolidé la partie dangereuse sur la partie sud qui menaçait de tout emporter et ont fait le sauvetage du mur en péril. Nous avons doublé l’un des murs de refent désormais instable pour stabiliser l’ensemble en se calquant sur le plan initial. Tous les murs sont harpés. Ainsi cette action première permet de réduire les désordres à venir et de s’appuyer sur des parties désormais saines.
Nous gardons comme principes initiaux :
1) respecter le plan initial tel que nous l’indiquent les ruines (recherches des indices)
2) respect des matériaux et procédés locaux sans apport exogène,
3) principe de réversibilité
4) sécurité des hommes et du monument.
Le monument n’est donc plus en péril sur la partie consolidée. Cependant les parties autour de l’entrée, les cases du bas et des parties intermédiaires doivent être systématiquement assainies.
Je pense que ce qui a été gage de réussite dans cette action est d’avoir pris les gens du village sur le chantier mais surtout d’avoir pu repérer des maîtres maçons compétents et surtout respectueux du lieu. Lors des réhabilitations précédentes dans le cadre de la lutte contre le chômage, il y a eu des sabotages et s’ils ont rénové, ils n’ont pas restauré. Par manque d’encadrement, ils ont beaucoup détruit des portes et certains murs pour récupérer les pierres nécessaires à la reconstruction des espaces désignés par l’autorité locale.
Cependant à la fin de cette première phase, nous ne savons pas comment résorber un désordre majeur sur l’un des à pic. Consolider les bois (et cacher la structure de consolidation) ne suffira pas. Il faut une action d’envergure sur l’ensemble du bâtiment. L’idée est de mettre des témoins et de veiller à ce que personne ne se déplace près des murs tendant à s’écarter (en en interdisant l’accès). Si les témoins ne bougent pas, cette fissure est ancienne, si elle continue à s’ouvrir, il faudra prendre le conseil d’ingénieurs de structures pour réfléchir à un système pour étayer.
[1] Grammet Ivo, De Meersman Min, Splendeurs du Maroc, Edition Plume, Paris, 1998, p.65
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