Salima Naji

Des projets culturels: deux musées ouverts sur le monde pour ne pas laisser l'oubli envahir le Qsar

Les deux projets qui suivent méritent d'être particulièrement distingués par la qualité des porteurs et leur dimension généreuse. En effet, Aydda Lassaoui et la famille Ihchach sont des amoureux de leur territoire et de leur histoire. Ils aiment à venir dans le qsar et sont toujours intéressés par l'évolution du chantier, n'hésitant pas à donner des conseils avisés ou à rappeler des anecdotes historiques. Avec eux, les ruines se mettent à parler pour conter leur époque de grandeur. Or, ces passionnés veulent avant tout donner à comprendre des traditions trop vites oubliées. Ils ont donc décidé, chacun de leur coté, de proposer un projet de musée, mais il n'y a aucune concurrence car dotés de personnalités très différentes, ils proposent deux projets distincts, complémentaires.

Le Musée du palmier

Porteur de projet :  Aydda Laassaoui, Association Ksar Assa

Ecrivain-poète, jardinier-cultivateur de la palmeraie et des âmes

Aydda avec l’association Ksar Assa, ont été les premiers a recueillir toutes sortes d’objets de la vie quotidienne en même temps que des manuscrits anciens. En 1993, ils organisent une grande exposition qui remporte un succès régional et, chaque année, lors de manifestations culturelles diverses, ils donnent à voir leur collection et se font pédagogues pour que la jeune génération n'oublie pas.

Le président Aydda Lassaoui appartient au vieux lignage Ayt Baha U Ali, parmi les premiers à s’être fixés à Assa, il y a plus de sept siècles. La légende familiale illustre la position de neutralité de cette fraction au sein d’Assa, seuls à posséder un cimetière privé où est enterré leur aïeul.

Parce que la maison, lors de son relevé, témoigne de l’économie locale autour de la datte (différents modes de traitement, séchage, stockages, ensilages, confiseries, etc .), base de l’alimentation de jadis, nous proposons d’en faire un musée du palmier. Le projet intègre la collection d’objets déjà constitués et une scénographie de l’espace liée aux dérivés de cet arbre à la symbolique particulière (fécondité). La scénographie s’appuiera donc sur l’existant pour faire « parler » la demeure dans une découverte de ses espaces.

Projet du Musée historique d’Assa

Porteurs de projet : Hussein, Saïd et Bouzid Ihchach, Association Anameur

La demeure se trouve au départ du circuit à côté d’une petite mosquée oratoire et du tombeau du Saint Sidi El Wali ; la famille possède une très belle collection de manuscrits et de wataiyq (archives) qui, dans cette maison et dans ce quartier fortifié, peut être le lieu d’une explication de la fondation d'Assa et de son évolution. Les membres de la famille Ihchach se sont ressoudés autour de l’ancêtre éponyme : Husseine U M’bark Ahchouch. Ils veulent faire de l'antique demeure en terre, un musée et surtout un centre historique. Un des membres de la famille enregistre, filme, questionne tous les doyens, et tous sont passionnés d’histoire familiale. Ensemble, ils veulent redonner vie à cette maison, qui deviendra la gardienne de la mémoire familiale, pour que tous les membres de cette grande famille dispersée à travers le pays puissent retrouver ses origines.

Il désirent nommer la nouvelle porte qui desservira leur quartier du nom de leur ancêtre pour marquer cette refondation ( ils se sont installés au XVII^e J.-C, dans le quartier du haut, effondré en partie mais possédant toujours deux mosquées anciennes).

Développer des projets locaux

« Il faut te dire que voir toutes vos actions, votre présence, voir les maçons œuvrer, sauver ces lieux,  discuter avec les vieux pour retrouver le bâtiment tel qu’il était, a réveillé chez moi mon ancien métier.

« Je viens, je regarde, j’aimerai participer en m’occupant de notre maison. Ce que vous avez fait pour le Ksar c’est grand. C’est un exemple pour nous.

« Ça a réconcilié ceux qui étaient fâchés entre eux dans notre famille. Nous vous en sommes très reconnaissants.»

Hussein Ihchach, ancien maalem, aujourd’hui employé communal, visitant presque chaque jour le chantier

Les habitants du Ksar d’Assa –  même lorsqu’ils habitent la ville nouvelle – sont fortement motivés par l’idée du réveil du Ksar : ce projet patrimonial impulsé par l’Agence du Sud, répond à une double-exigence : donner au Ksar, la possibilité de renaître avec un projet fédérateur, respectueux de l’histoire du lieu, des procédés constructifs et de l’identité locale, tout en pouvant retirer des activités génératrices de revenus. Notre idée a donc été de lancer une première série de travaux de restauration sur les parties communes (remparts, place, ruelles, tours de garde et portes) tout en finalisant les études préliminaires, notamment par le relevés de tous les édifices portés par la volonté d’un particulier (propriétaire).

Les familles propriétaires porteuses de projets sont désireuses de bénéficier d’une requalification de leurs demeures anciennes, tant sur le plan fonctionnel que spatial : elles voudraient pouvoir présenter le Ksar à des touristes curieux, vendre des produits AOC et promouvoir une image contemporaine de la forteresse historique. Tous les porteurs de projets actuellement identifiés et dont le relevé des demeures et les projets sont dessinés, sont organisés en associations, sociétés, ou coopérative d’habitat, ils sont dynamiques et ont commencé à créer les conditions de partenariats multiples.

A chacun de mes séjours sur place, les réunions formelles et informelles se multiplient, les projets s'ébauchent puis se déploient avec une inventivité croissante.

L’ensemble des projet essaie de satisfaire chaque lignage d’Assa en s’appuyant sur l’intérêt des demeures. Bien entendu, nous n’avons pas encore identifié tous les porteurs de projets (Idaw Mellil du haut pour le moment), nous pensons à terme qu’il y aura une centaine de maisons et de porteurs de projets concernés par la requalification d’Assa. Si plus de 100 projets sont donc en cours d’identification, nous espérons lancer une quinzaine de projets à partir de la fin de l'année 2006.

Cette démarche s'inscrit dans une logique participative où l'architecte se met au service de la population et de ses attentes. Ensuite, ensemble, nous essayons de donner une grande cohérence à l'action pour que toutes les activités s'épaulent dans une logique de développement durable intégré. Nous évitons les implants exogènes fragiles sans pour autant oublier le devenir d'Assa. Toute la démarche entreprise, étape par étape, depuis plus de 10 mois, va être organisée par l'Agence du Sud selon une logique d'Agenda 21 pour permettre à la société civile, de plus en plus impliquée, de se doter des outils nécessaires à la gestion sur le long terme de ce projet collectif.

Maëlle Gapihan & Anaïs Aldon, l'Ecole d'architecture de Bordeaux à Assa

Anaïs et Maëlle, étudiantes à l'Ecole d'architecture de Bordeaux, désiraient faire un stage à Assa qu'elles avaient découvert par ce blog en juin dernier. Elles purent finalement avoir une approche patrimoniale du Sud, comme elles le souhaitaient au départ, mais aussi du Nord du pays : Rabat avec d'abord l'étude de la Maison de la Fondation Suzanne Rollin, sous l'égide de François Devalière. Une maison, une histoire, des références, mais aussi des rencontres autour de plusieurs personnalités de la capitale. Casa au banc d'essai et ses multiples demeures art déco. De multiples visites qui permirent surtout de comparer le passé urbanistique et architectural de ces deux villes à l'orée des années 1930. A Fès, elles affûtèrent leur approche des médinas. A Agadir, Coco Polizzi nous accueillit avec chaleur. Et enfin, à Assa, elles purent apprécier l'étendue du Ksar que nous comparâmes à Aouinet Turkoz... Avant de quitter le Maroc, Coco Polizzi les emmena à Essaouira : elles étaient venues par Mirleft, la baie d'Ifni et Plage Blanche, elles repartirent avec des images de Mogador. Des images certes, mais aussi des aquarelles, des dessins et des plans.

Du 8 septembre au 6 octobre 2006, ce stage dans mon agence, hors les murs, fut très formateur aux dires de ces étudiantes, attachantes, sensibles et travailleuses. Elles sont reconnaissantes d'avoir eu ainsi le privilège de cotoyer pendant ces quatre semaines, tant de lieux et de personnalités différentes. L'architecture est d'abord un échange humain.

Les gens d'Assa, comme toujours, nous réservèrent le plus bel accueil, Ramadan donna l'occasion d'être invitées à plusieurs ftours chez nos amis et partenaires dans le projet de réhabilitation du Ksar.

Enfin, ce retour à Assa était surtout pour moi, maintenant que les études préliminaires sont achevées, l'occasion de lancer la troisième phase du chantier. Si les hautes températures de cet été venaient à se prolonger encore (45°!), il est prévu que les maalmines travaillent une partie de la nuit.