Salima Naji

Des biens inestimables

"...il s'agit de biens inestimables, irremplaçables, qui doivent continuer à pouvoir agir et remplir leur rôle auprès de chaque nouvel arrivant sur la Terre: c'est ainsi que les générations qui l'ont précédé accueillent, et peuvent lui dire: "regarde, nous avons aimé ce monde, nous l'avons remercié de nous donner de la terre, des arbres, dont nous avons fait des murs et des toitures, des couleurs, du labeur quotidien, nous te donnons à notre tour ces trésors, prends-en soin pour tes enfants, et pour la terre qui t'entoure...

Merci de prendre ce soin,même ceux qui ignorent la valeur de ce que vous faites
muette qui doit continuer à parler ! "

Je ne résiste pas à mettre ce commentaire envoyé par l'architecte-sociologue Christelle Robin sur cette expérience patrimoniale.

La lutte entre la tradition et la "modernité" ?

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Nous avons achevé la petite mosquée de Tafreghoust, dans le Haut-Atlas, au-dessus de Tin Mal (1/2 heure de mauvaise piste), non sans difficultés : M. Le Ministre des Habous ayant pris la peine de s'y déplacer en Mai dernier, cela avait fait rêver la population d'une énorme mosquée en béton, érigée dans ce minuscule hameau à la population vieillissante marquée par l'émigration...

La mosquée menaçait de s'effondrer, certains villageois négociaient à Marrakech auprès des bazaristes les promesses de vente des chapiteaux et piliers polycromes. Deux portes vénérables étaient déjà parties, et certains colportaient que tout allait disparaître, la nuit... déjà, ils plaçaient des portes métalliques à la place du bois pour tout emporter le moment venu...

Certains membres de la communauté désirait raser l'édifice de quelques siècles pour y implanter à la place "une vraie mosquée avec un grand minaret et la salle de prière pour les femmes, à l'étage, comme en ville, et aussi des boutiques et des douches". De ce fait, ils étaient un peu allergiques à l'idée de restauration...

Notre mission était de sauver l'édifice. Le budget était de 200 000,00 dhs ( moins de 20 000 euros), et il n'a pas été atteint même si nous avons démonté toute la toiture, remis en état la charpente, refait les enduits intérieurs, les façades, installés l'electricité, amélioré le hamam...
Il a été pourtant plus difficile de faire travailler les équipes, au sein d'une communauté divisée entre ceux qui voulaient conserver la mosquée traditionnelle et les "modernistes" qui espéraient au passage détourner quelques sacs de ciment pour leur propre compte...

Désormais, la conservation du monument est entre les mains de la communauté. Une question reste posée : la peur d'être considérés comme archaïques les fera-t-il cimenter le bâtiment vénérable au non d'une forme de modernité.

En fait, pour beaucoup de personnes (y compris les décideurs), est réactionnaire qui construit en matériaux traditionnels, et moderne celui qui utilise un ciment gadget non maîtrisé. Hélas aucune réflexion ne se fait, ni sur l'acte de construire, ni sur la pérennité de l'édifice, encore moins sur les conséquences de ces choix... Ainsi au delà de la mémoire des lieux, de la valeur patrimoniale, plusieurs questions doivent être posées. Premièrement la mise en oeuvre souvent aléatoire du ciment dans ces montagnes favorise des pathologies du batîment immédiates que la communauté ne peut réparer. La durée de vie du ciment ne dépasse pas la vingtaine d'année. A cela s'ajoute l'insalubrité de la nouvelle mosquée humide et froide, ce qui pousse de nombreux croyants agés à ne plus venir prier dans l'édifice alors qu'ils représentent la majorité des pratiquants. Enfin, le budget est généralement cinq à dix fois plus élevé pour atteindre un résultat médiocre comparé à une architecture en pierre ou en terre.

Par conséquent, si la modernité est l'accès à de meilleures conditions de vie pour l'ensemble des individus, nous devons être sensibles au coût, à la durabilité et à l'hygiène des lieux. Or pour certaines populations désespérées, souvent, elles ne pensent qu'à une image qui pourrait leur faire croire qu'elles participent du mouvement du monde urbain, préférant investir dans une architecture de béton que dans l'adduction d'eau ou l'assainissement, juste pour avoir l'apparence de la modernité et passer à coté de l'essentiel, c'est à dire l'amélioration de leurs conditions de vie sociales et sanitaires.

Douar d'hôtes Wiri-zen à Tahanawt

Le site, hiver, printemps, été, automne, les neiges de l'Alas veillent... La douceur des lignes du paysage, la couleur des terres, la présence d'une végétation qui semble s'agripper aux massifs, et surtout l'immensité d'un paysage qui semble s'ouvrir, sont à chaque fois un choc.

Le projet est un ecolodge de luxe reprenant les traditions architecturales locales. Deux restaurants, et un espace spa ouvriront le lieu à une clientèle exigeante qui résidera autour des espaces de services dans des maisons très spacieuses, dotées d'un grand confort, et cependant écologiques. Aux pieds de la colline, il est prévu de mettre sur pied une petite ferme, avec ses cultures bio, ses animaux et un haras de chevaux barbe et de poneys...

Demarrage du chantier, préparation des semelles de fondation, mise en réserve de la terre qui est destinée au pisé.

La maîtrise d'ouvrage souhaitait que l'ensemble soit réalisé en matériaux traditionnels, c'est pour cela qu'elle avait fait appel à moi en 2005. La loi, hélas, nous a obligé à affecter une structure en béton armé superfétatoire parfaitement inutile, mais de la sorte, nous sommes sûrs que le projet obtiendra in fine son autorisation d'exploitation.

A contre-coeur, le chaînage est posé, il servira à certaines dalles intermédiaires. La contrainte d'habiller ces structures rend inventif, Hicham et les ouvriers, dont notre fidèle Brahim Fadl Din, ont l'idée de faire un chaînage d'angle en pierre, magnifique. Deux architectoniques s'opposaient ainsi, mais finalement c'est la plus majestueuse qui a pris le dessus : la terre gagne toujours !

Les choses prennent forme, au fil des semaines. Nous réflechissons à chaque détail, à partir des plans - déjà très élaborés - chaque visite dure plus d'une demi-journée, chaque détail est pensé et amélioré. Construire en terre est toujours un immense bonheur, on se sent si bien dans ces espaces intérieurs que nous allons essayer de garder le plus bruts possibles...

Photographies Salima Naji 2006/07 & Barbara Teslar © 2008

Les Essais à Assa, ciment et patrimoine

Du 3 au 6 mars, animée par les ingénieurs de Ciments du Maroc, une première journée de formation a été attribuée aux ouvriers les plus motivés d'Assa. M. Fellaki, ingénieur, a avec M. Belhad, technicien, expliqué et accompagné chacune des séquences.

A Casablanca en effet, avaient été mis au point, autour des équipes de  M. Abarro Omar, les premiers essais en laboratoire qui avaient été validés, amendés, améliorés. Les ingénieurs Mme Mansoutre, M. Zenjari avaient été parmi les premiers visiteurs d'Assa en décembre 2006. Enchantés par le site, depuis, ils étaient attachés à des résultats concrets. Et à partir des premiers échantillons de pierre, de sables, de limons locaux, différentes textures et techniques avaient été proposées et testées jusqu'en février 2007.

Nous voulions par ce partenariat initié par M. M. Chraïbi, le Président du Groupe en 2005-06 et Mme A. El Fassy-El Fihry, directrice de la Coommunication de Ciments du Maroc, montré que le ciment, lorsqu'il est maîtrisé et bien utilisé, n'est pas toujours incompatible avec le Patrimoine.

Le projet a pour objectif de mettre ainsi en valeur l'ensemble des pavements du Ksar sur l'échine dorsale du parcours et sur les placettes importantes. Il reste les flux à placer... et coordonner chaque poste n'est pas une mince affaire, hélas. Il était aussi extremement important d'expliquer aux bénéficiaires que réhabiliter ne signifie pas figer dans le passé (tous sont obsédés par l'idée de modernité, la modernité de pacotille, celle des gadgets), mais accompagner son époque. Pour bien accompagner son temps, il faut toujours faire avec les legs du passé...

MM. Fellaki et Belhad, Mme Diani, l'actuelle directrice de la communication du groupe Ciments du Maroc, Mme Morjani, chef de projet Assa à l'Agence du Sud, M. Rah, Directeur Régional, et moi-même, avions le 11 février dernier participé à la mise en route des Essais grandeur Nature.

Lors de ces premiers essais de mars, j'ai admiré la patience des formateurs, leur douceur a expliquer chaque étape, à assister et reprendre chaque enseignement. Nos jeunes (et moins jeunes apprentis) été captivés, sensibles à cette formation de grande qualité, attentif à chaque geste. Ils sont très impatients de se livrer aux exercices pratiques et attendent le retour de leurs formateurs et la "dame aux cheveux jaunes" (Mme Mansoutre) ! L'émulation créée par les formateurs étaient belle à voir.

Si les résultats sont concluants, des tests seront passés et les recrues les plus habiles auront un certificat de formation attestant de leur niveau. J'espère de la sorte essayer de poursuivre à une vraie formation pour nos maalmines leur permettant une fois revenus sur le marché du travail, d'avoir bénéficier d'une palette de compétences. Ils sont bien payés et ceci leur assure une dignité réélle, il faut maintenant leur donner d'autres atouts.