Une question revient sans-cesse lorsque je présente mon travail de terrain devant un auditoire occidental : "Alors, ce n'est pas trop dur pour vous d'être une femme ?". On sait combien en France le monde des chantiers est extrêmement sexiste. En fait, cette différenciation est étrangère à ma culture familiale : pour moi, dans le monde professionnel, je suis au-dessus d'une position sexuée. Cette idée assure une assurance et une force de conviction qui permet d'aller au coeur du vrai problème : la réussite d'un projet.
Cependant, à chaque fois que j'ai rencontré une difficulté de cet ordre, elle a toujours été le fait d'hommes instruits, généralement salariés et le plus souvent fonctionnaires. En effet, cette évolution profondément rétrograde se fait au sein d'une partie de la société citadine, composée d'employés et de petits cadres de l'Etat. Pour le comprendre, il faut saisir que ceci est à rattacher à la mouvance islamique qui concerne de petits lettrés, peu instruits mais suffisamment pour occuper des postes techniques. Toujours citadins, ces hommes qui ont connu une ascension sociale, ont un sentiment d'humiliation vis-à-vis d'un occident plus développé et plus riche. Ne pouvant l'atteindre, ils s'enferment dans une autre modernité, qui serait celle de l'orthopraxie musulmane. Il leur faut toujours prouver qu'ils sont de bons croyants en respectant un code et en interprétant simplement un dogme dont toutes les finesses ne font qu'augmenter leur situation de stress. D'ailleurs, ils votent pour le PJD qui est un parti citadin, car dans le monde rural, les PJDistes sont toujours remis à leur place. Aujourd'hui, le phénomène s'accélère car les islamistes recrutent dans les lycées, les universités, les écoles supérieures. Ils rejettent d'ailleurs l'islam de leurs parents jugé trop frustre à la limite de l'animisme et bien sûr celui d'une élite éclairée qu'ils condamnent.
Les gens qui appartiennent à cette mouvance (qu'elle soit affirmée ou
inconsciente) sont toujours des personnes ayant subi une humiliation
sociale et qui expriment là une revanche. Bien sûr, ils ne supportent
pas les francophones et encore moins les femmes qui donnent des ordres et qui ont un réel niveau d'étude... Pour eux les femmes doivent rester des exécutantes, des secrétaires et surtout pas des architectes indépendantes qui commandent des dizaines d'ouvriers, qui affrontent des contestataires, qui exigent le respect de valeurs éthiques (le non détournement de l'argent public, le travail bien fait, le respect des différences et des qualités de chacun qu'il soit noir ou blanc, jeune ou vieux, homme ou femme).

Le plus souvent, ces cadres ne faisant rien par engagement mais juste par salaire, ils ne comprennent pas les mobiles qui sont la volonté d'assurer le développement d'un pays pauvre et de villages souvent sans horizons. Donc, si vous êtes une femme pour eux, c'est avant tout l'argument misogyne qui ressort : "Le projet, est votre bébé, vous le portez, vous l'enfantez dans la douleur et vous ne l'abandonnerez jamais." Ils ne peuvent pas comprendre que si vous n'abandonnez pas c'est tout simplement par rigueur et surtout par respect des populations locales à qui on promet souvent et qu'on oublie aussitôt, mais aussi par sens du devoir.
En fait, ce n'est jamais dur pour moi. Ma position de femme, au
contraire, il me semble que l'écoute est meilleure et l'attention
au projet en est renforcée. Tout est histoire de tempérament et de
force personnelle. Et, que je sache, la force de conviction n'est pas liée au genre.
Quelque part, ce qu'ils ne supportent pas, c'est que je démonte des mécanismes qu'ils ne voient pas et que je sois capable de donner des ordres. Cela se résume, comme dirait Bourdieu, à des histoires de pouvoir et de domination...