Le grand sud est soumis à des programmes de constructions de plus en plus démesurés. Les mosquées, les villas individuelles, certains projets touristiques se multiplient sans aucun contrôle. Jean-François Thomas a pris une série de photographies durant les dernières semaines. Elles montrent le changement de cadre de référence de ces si belles régions que nous sommes nombreux à aimer. Des personnes, souvent émigrées en Europe, vite enrichies, importent ces modèles improbables... une fois rentrés au pays. Très vite, elle sont singées par d'autres notables locaux dont l'obsession est le prestige. Tous sont évidemment déracinés.

J'ai montré ces monstres lors des 4ème rencontres des Agences Urbaines à Essaouira le 13 novembre 2009 à tous les hauts fonctionnaires du Ministère de l'Habitat. J'ai expliqué ma démarche devant le parterre de confrères et de hauts responsables : mes restaurations, mon implication sur le terrain. Les micro-sauvetages que j'initie sont peu de chose, comparés à l'étendue de cette lame de fond. Surtout au delà de cela, il faut comprendre que ces marchés génèrent aussi une corruption à la hauteur de ces bâtiments. Il est donc question d'une éthique globale.
Il faut convaincre les gens. La personne qui choisit ces modèles est persuadée d'être dans le vrai, hélas... Il faut lui expliquer pourquoi. Pourquoi ce n'est pas la "modernité", pourquoi il est vain de vouloir écraser autrui avec une architecture aussi prétentieuse. La sensibilité, la culture, le respect de l'autre, le vrai prestige n'est pas dans la débauche d'argent pour se montrer.
Malheureusement trop de cynisme, trop d'incapacité à maintenir des convictions face à une envie grandissante de s'enrichir très rapidement. La corruption et la vénalité resteront de biens mauvaises conseillères.
Des commentaires très précieux :::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::
Chère Salima
C'est une lutte à mener, mais contre qui ? Contre ceux qui construisent ou ceux qui leur livrent les autorisations.
Le problème est un problème des pseudos intellectuels, des gens qui ne pensent qu'à se remplir les poches. C'est le problème de ceux qui, au nom du modernisme aveugle se déracinent ou en tout cas font de sorte à gommer toute une identité.
Sans complétement t'abondonner face au destin, je te salue et je salue tes efforts déjà concrétisés au niveau des deux greniers d'Amtdi, de Kssar Assa, de la kasbah de Tiznit. Merci Salima
M. Ait HAMZA
CEHE / IRCAM
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Chère Salima et cher Ait Hamza
Je suis totalement d'accord avec vous. Avons-nous perdu les repères de notre identité? Ce que nous constatons et voyons autour de nous est horrible, notre patrimoine est en train de subir de grandes dégradations.
Il est temps de réagir et de sensibiliser les populations, les élus et les autorités des dangers qui menacent notre milieu, notre culture et notre identité. Des cours sur le patrimoine doivent être introduits dans les programmes ( au primaire, secondaire et supérieur) de nos enfants. Des campagnes de sensibilisation pour la conservation de notre architecture doivent être programmées en ciblant les personnes (ou les services) qui délivent les autorisations de construction ou qui approuvent les plans de construction.
Ahmed RAQBI
Université Ibn Zhor d'Agadir, filière patrimoine
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Je réponds à votre récent mail sur les horreurs des nouvelles constructions. J'en ai déjà vu, dans ma dernière traversée du Sous, je vous redis mon effarement devant les constructions quasi systématiques de villas chic tout à côté, ou même devant les maisons anciennes que j'adore dans la région de Tafraout-Tiznit - maisons anciennes massacrées, abandonnées, cachées derrière le neuf quand on ne peut pas s'en débarrasser. La recherche du modèle citadin, tapageur, si on en a les moyens -ah, les toits de tuiles vertes et les balcons de fer forgé du village d'Izerbi dans une grande plaine de cailloux au sud de Tafraout ; ce snobisme est impossible à interdire, il se double aussi d'une recherche de confort que la vieille maison n'offre certes pas… On veut des fenêtres, c'est naturel, ça aère…. On voit bien les causes, mais pas les remèdes parce que ça semble être partout .
On voudrait dynamiter cette pagode! Est-ce qu'il faut au Maroc avoir un permis de construire, y a-t-il des normes de respect du style régional? Difficile à imposer, à contrôler : on voit bien qu'on ne peut être derrière chaque propriétaire. Les horreurs en France dans les banlieues des grandes villes sont là pour nous rendre humbles devant ces problèmes, et maintenant il est trop tard dans tellement d'endroits! Seuls quelques coins de provinces "conservatrices" (?), en Bretagne par exemple, gardent du "cachet" même dans les constructions récentes.
Et dire que maintenant cela gagne les montagnes de l'Atlas, du Rhéris à Aït Hani… Je veux vous dire, chère Salima, combien, depuis que je vous connais, et par vos livres, et pour votre action militante, combien je vous admire et suis une de vos fanatiques supporters! La bataille ne fait que commencer : Je voudrais [que vous puissiez agir pour sauvegarder ces architectures], et au plus tôt, pour essayer de mettre un peu d'ordre d'en haut dans l'urbanisation des régions si diverses de votre beau pays (je ne veux pas dire "refaire comme par le passé", mais trouver dans les modes de constructions modernes ce qui s'harmonise avec les caractères spécifiques du patrimoine architectural).
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Rose-Marie Rabaté