Comment restaurer un palais du XVIII° siècle, remanié au XIX°, et qui a subi beaucoup de désordres architecturaux au XX°dus essentiellement à des affaissements de terrains [tassements differentiels ] et des infiltrations d'eau sur la durée ? Comment traiter les bois ? Comment revoir l'étancheité sans toucher aux équilibres subtils de ce corps vivant, construit depuis tant d'années ? En fait, restaurer, c'est faire preuve d'une immense humilité, devant l'objet construit par d'autres mains, tout en cherchant à comprendre l'essence de sa création. Comment il a été bâti, les lois qui l'ont porté, pour ne pas commettre l'irréparable ensuite. Pour surtout se donner une ligne de conduite qui permettra de bien restaurer. Prendre le temps de soupeser les hypothèses constructives et d'évaluer la stabilité des différentes parties qui composent l'édifice. Essayer de dépasser l'emerveillement que le lieu suscite, parfois à l'infini, pour pouvoir agir et prendre les décisions qui s'imposent structurellement car il y a aussi des urgences sur certaines zones. Tout relever de façon presque servile pour entrer dans les proportions justes du lieu sans faire de mauvaises interprétations dues à celui qui croit tout savoir. Chercher toujours la part de création dans des traditions apparemment classiques. Bijou fragile, il peut casser comme un coquillage s'il est mis entre de mauvaises mains trop vulgaires pour comprendre son raffinement interne ou trop mercantiles pour prendre le temps de bien observer l'objet dans toute sa richesse et sa fragilité. Un tel palais émeut et mérite un soin infini. De la douceur. De la prudence.

Restaurer c'est avoir une contrainte de site très pregnante qui obligera à user de beaucoup de doigté pour rester dans le respect du site tout en le faisant - imperceptiblement - évoluer vers d'autres destinations. Je déteste ces manies de vouloir à tout prix trafiquer un site pour le rendre fashion - "contemporain", pour plaire à une certaine catégorie, alors que ce même lieu a une puissance bien à lui qu'il est intile de galvauder. Nous appartenons à notre époque, nous sommes des contemporains qui faisons du contemporain que nous le voulions ou pas.
Je m'emploie, dans mes travaux, à effacer ma trace, là où d'autres font éclater leur égo. Tout dépend pourtant de ce qui est en train de se jouer en ce lieu... Et pourtant, la puisance d'un espace maîtrisé avant nous parle de lui-même. Son unité est là et mérite un respect religieux à son égard. Le culte des monuments n'est jamais loin...
http://socio-anthropologie.revues.org/index5.html
Aloïs Riegl