Il faut nous arrêter sur un épisode heureux : celui d'une idée maîtresse du projet,
la restitution des jarres par la fabrication auprès d’un potier local. Les jarres brisées étaient réservées au saint dans le couloir d’entrée du grenier d’Isserghine. Nous avons raconté dans nos travaux universitaires l’importance anthropologique de ce dispositif suscitant le don à l’intérieur des greniers collectifs marocains.

Ce fonctionnement est une spécificité d’Isserghine qui fait tout l’intérêt du site et un point important pour tout visiteur étranger au site (pour le musée, c’est l’une des « salles »
A partir d’un fond d’archives personnelles (2002) complétées par les photographies de 1974 de Marie-Rose Rabaté nous avons passé commande aux potiers Brahim OUAABACH et Ahmed SABER (63 et 65 ans) des jarres à installer en remplacer à partir de celles qui y furent installées naguère au préalable à partir de leur emplacement (les fonds de jarres étaient encore en place) nous avons le 22 décembre engagé avec ceux qui avaient connu le fonctionnement du grenier – notamment la famille des derniers gardiens, la restitution des jarres perdues.
Les derniers gardiens du grenier s’étaient, semble-t-il, approprié certaines cases du grenier pour y vivre avec leur famille. Notre connaissance fine du grenier collectif de l’Atlas marocain nous rend prudente face aux informations qui nous sont livrées : sans doute est-ce un fonctionnement tardif du grenier, différent de l’ordre premier.
Mme Ijja ben Lhoucine Azekri (lignage, afous ID HAMOU) est la tante maternelle de Ahmed Id Malek (afous ID MALK), elle est la fille d’un premier gardien qui choisit comme gendre le gardien suivant père de l’ouvrier qui réinstalla les jarres avec sa tante. Avant de procéder à cette restitution, on fit cependant, avec elle, le tour des jarres, puis des cases de saints pour leur restituer leur nom exact et essayer de comprendre avec elle le fonctionnement d’Isserghine.
Ceci nous permis de saisir d’autres fonctionnements non-visibles, comme les tirelires à pièces, innovations, récentes, et de comprendre aussi comment étaient évidées les cases au fur et à mesure qu’elles se remplissaient. Par contre, il semble qu’il y ait confusion dans les cases des saints qui ne semblent plus nominatives mais plurielles comme dans tous les greniers où l’usage des dons s’étiole. Elle nous a appris aussi que les jarres étaient, une fois installées, percées de « bouches », closes d’un morceau de jarre cassée qu’il suffisait de déplacer opportunément lorsque celle-ci était pleine pour la vider depuis son fonds.
Cette séance de retour aux sources était passionnante, elle a nécessité beaucoup de temps, à la fin, tous les ouvriers voulaient y participer (le temps de travail était écoulé) : ils voulaient participer à cette reconstitution historique dans la joie et le partage.
