Il s'agit ici d'un projet global initié il y a désormais trois ans. Alors que j'avais ouvert un chantier participatif à Isserghine, j'ai rencontré en parallèle des citoyens désireux d'ancrer leurs villages dans l'avenir mais sans les déconnecter de leur passé, comme c'est trop souvent le cas dans ce pays (même quand on le clame). Les discussions amènent à la découverte progressive d'une histoire ancienne. Les projets se construisent alors sur la durée durant de longs échanges pour faire émerger une vision qui donne un sens profond à un projet : SAVOIR Où L'ON VA.
Ici la rencontre fortuite d'un groupe des femmes en plein maaruf de l'Annayir fut déterminante, de même que M. Said Ait Ali (qui a fait les transcriptions et traductions en tifinagh). Le projet fut relayé par MM. Mohamed Faïz, le président de la commune, et soutenu par M. Hajji, le directeur de l'Agence du Sud.
Truismes, succession de truismes. Ancrer leurs villages dans l'avenir mais sans les déconnecter de leur passé, ceci parait une évidence en Europe. Cela représente ici un grand effort et une vraie bataille. Ici c'est l'inverse, la volonté de "moderniser" les choses est telle, qu'on les efface, les détruit sans vergogne. Cultiver les vestiges qui ont subsisté, leur redonner vie ou sens, rendre visible ce fameux patrimoine est d'une difficulté inouïe. Les chantiers patrimoine sont toujours ingrats et longs, ils nécessitent une patience infinie et beaucoup de science constructive locale que ce soit depuis la partie architecture comme depuis les "petites mains", essentielles. En effet, il faut recruter une main d'oeuvre locale, réfléchir avec elle sur les techniques les plus appropriées, les moderniser éventuellement pour assurer une plus grande pérennité. Il faut par ailleurs mobiliser les matériaux locaux, éventuellement réouvrir une carrière.
Or, chaque projet étant particulier, il faut à chaque fois réinvestir en temps et en moyen pour réussir. Il faut donc démultiplier les chantiers et les projets pour arriver à générer une masse critique à la fois de compétences et d'expériences permettant alors d'initier un changement social.
Ce pose aussi une question de valeurs et d'éthique. Car la construction est une responsabilité sociale partagée. Ces valeurs s'incarnent dans cette architecture de la justesse, du respect de l'environnement et des hommes à l'inverse de tout ce qui se fait aujourd'hui souvent par vanité. Point de démesure ou d'hybris, seulement une succession de gestes simples qui permettent de créer un espace public de qualité. La satisfaction de pouvoir regarder des adultes discuter, des enfants jouer...
A quelques kilomètres de là, sur l'un des chantiers actuels, sous une porte de ksar à peine réhabilitée, les hommes du village reviennent seulement faire la sieste durant les fortes chaleurs pour se reposer du travail des champs puis discuter le soir pour faire le bilan de la journée. Activités biens modestes mais ô combien essentielles.