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Sibel Horada, Le néant en rétrospective, 2015 (détail). Photo: Michael Horada, oeuvre abritée par la Fondation Kamel Laazar, Tunis.
Cette jeune Fondation répond à la nécessité de promouvoir les arts visuels dans le Maghreb et le monde arabe pour pouvoir créer un forum pour la culture visuelle: "La Fondation Kamel Lazaar se consacre à fournir un espace pour le dialogue sur la culture visuelle dans la région et au-delà. A travers des initiatives dans le domaine de la publication et de la recherche, le soutien à des expositions, des conférences, des séminaires de formation, le développement d'une collection... La Fondation vise également à alimenter des débats éclairés et durables dans la région et au-delà. Son objectif sur le long terme est de promouvoir et de diffuser une pensée créatrice innovante dans le domaine des arts visuels".
http://www.kamellazaarfoundation.org/fr/initiatives/4/39/
Il y a comme cela, des fondations qui résonnent d'intelligence. Et par les temps qui courent dans ce monde désenchanté, cette résistance encourageant toutes les énergies, fait beaucoup de bien.
Rédigé par Salima Naji | Lien permanent | Commentaires (0)
De Dar Mahkama (Casablanca) aux palais de Tunis de la médina. Ces palais ont une force incommensurable qui m'a frappé lorsque je les ai découvert pour la première fois, un choc comme on peut en avoir eu dans la médina de Fès pour certaines de ses rares demeures. Une identité proche qui se nourrit des uns et des autres. L'un éclaire l'autre et aucun ne se suffit à lui-même. J'aime voir ces différences par rapport aux "riads" marocains où une autre écriture encore se déploie jusqu'aux demeures du Sud où, là encore c'est autre chose : wust-ed-dar, lastwan et autres yeux (tit) de la demeure se multiplient pour ventiler et éclairer une architecture nourrie d'intelligence constructive (J'en parle dans mon premier ouvrage Art et architectures berbères, 2001, "Toponymie et humanisation de l'espace").
Une autre écriture encore dans ces palais récents que sont le Palais de la Mahkama de Casa ou celui de My Hafid à Tanger, toujours construits en périphérie des villes, mais dans une néo-architecture faisant référence aux premiers. Là il n'y aura pas le choc de passer de l'échelle de la ruelle de la médina à l'espace ouvert de la demeure intérieure, ce ciel déployé soudain qui fait basculer dans un champ neuf. Et pourtant ces palais récents, plus froids, plus évidents dans leur stylistique, font référence aux premiers des médinas. Ces mises en abime donnent le vertige et aujourd'hui le commun des mortels les confond. Ne voit pas les époques, les spécificités, la question même de ce que signifie le mot "référence" n'est pas compris par certains décideurs. S'ouvre alors un massacre en règle de l'architecture au nom de sa reconversion ou pire de ce qui peut être appelé réhabilitation. Dernièrement, un bureau d'études - sans aucune culture ni architecturale ni de la pratique conservatoire - a promulgué des CPS pour "restaurer" une Kasbah complexe où deux périodes se juxtaposent, voire trois. Bien sûr il a fait n'importe quoi... mais qui peut le comprendre vraiment en dehors des esprits avertis ?
Revenons à ce chantier de Tunis où ces voutes sont si belles, où des peintures affleurent, où se dessine ce qui a été. Et qui n'est pas encore. Tout y est balbutiant, il n'y a pas eu encore de décision prise, car le chantier est le lieu de tous les possibles. Un moment précieux où le temps suspend son vol laissant tout juste au praticien le temps de décider. Lorsqu'on est à Tunis, on a le sentiment d'avoir un pied en Europe, d'être un peu de Sicile, un peu en Italie déjà, avec des moments où l'on se croirait fugacement au Portugal. Au Maroc, on est plus clairement en terre africaine.
Alors ce chantier à Tunis, dans la médina, fait songer aux voutes du château de Brindisi. La pierre qui reprend les voutes travaille de concert avec les briques cuites montre combien le bassin méditerranéen a abrité une circulation des savoir faire. Dépose des zelliges, déposes des briques, dépose des portes. La chaux affleure partout dans son onctuosité, ici il n'y a pas eu d'adjonction malheureuse de ciment qui détruit tout. De vraies pathologies aussi, délicates à reprendre. Les travaux de maçonnerie, qui rendront tout son éclat à cette splendeur, peuvent commencer. Ah comme les chantiers sont ces moments d'arrêt qui saisissent l'architecture à un moment qui bientôt ne sera plus.
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Adobes. Paille et terre. Chaux. Pas de ciment en dehors des structures imposées par la législation. Rappel des mises en œuvre premières en adobe et pierre en soubassements. Épaisseur des murs 0,60 Lanterneaux de ventilation pour une climatisation passive. CTA en surpression pour les salles de conservation des archives et traitements des murs en conséquence. Galerie climatique et fontaine centrale dans cour plantée. Couloirs de ventilation intégrée.
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Le projet repose sur des savoir faire, c'est-à-dire des hommes. J'ai déjà dit ici l'importance de cette collaboration où tout est une histoire de rencontres, et histoire aléatoire car touchant aux êtres humains. Le couplet des artisans "maîtres vivants", en référence au Japon, est souvent utilisé, sans souci réel de leur sort... Et cette année, sur les chantiers de restauration, nous accusons une vraie perte des compétences, car rien n'a été fait pour renforcer les savoir faire ruraux. Pire, la destruction de l'architecture vernaculaire ces deux dernières décennies a tué beaucoup de volontés et de personnalités locales.
Dans celui-ci qui n'est pas un chantier de restauration, nous avons la chance d'avoir une équipe solide conduite par Daoud pour la terre et Hussein pour la pierre. Dans mes projets cependant, j'ai toujours laissé l'artisan à une place qui n'est pas celle d'un exécutant. Mais dans un cadre précis. Ce, dont peu sont habitués. Ceci parce que la chaîne des savoir faire doit se poursuivre sur la durée et réactiver le présent. Pour autant, comme ce sont des chantiers au long court, nous discutons longuement, au quotidien, sur comment améliorer les performances, renforcer certains dispositifs structurels. Cette méthode nécessite du temps mais permet ces petits miracles qui sont la fierté de l'équipe.
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Dans ces territoires où affleure l'histoire profonde au détour de chaque morceau de montagne, je dis ici mon bonheur d'utiliser la pierre sèche en parement. Comment est-il possible que le béton inadapté ait, des années durant, supplanté ces mises en œuvre intelligentes et adaptées climatiquement, surtout DISPONIBLES.
Certains de mes projets en terre se terminent actuellement et, avec le chef de chantier, les maçons, nous savourons la qualité de la lumière dans ces espaces, nous savourons leur fraîcheur dès qu'il fait chaud : leur beauté en un mot. La beauté n'est pas réservée à une certaine catégorie, tout le monde y a droit. Ici, pour ce centre culturel en pierre sèche, je sais que les enfants s'y trouveront bien, 60 cm d'épaisseur, pas d'enduit, ni en façade, ni en cache-misère à l'intérieur. Le biosourcé est une évidence, mais aussi une urgence aujourd'hui dans le royaume.
J'ai choisi ces mises en œuvre en joints secs pour mettre en valeur la pierre de l'Anti-Atlas, omniprésente, fondatrice. Mais pour les maçons, il y avait beaucoup d'hésitations, d'hébétude ; j'ai montré beaucoup de références et assisté un peu les ouvriers. On a décapé un mur qui avait été jointoyé trop rapidement. Je ne voulais pas non plus que soient cachées les pierres cueillies en carrière. Le résultat est impressionnant.
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A un instant du projet, on ne capte plus que sa lumière, et c'est difficile à rendre. La qualité d'un espace, ici construit en terre crue, se lit dans sa lumière. Soudainement, il s'illumine. Ce matin sur le chantier, j'en photographiais la lumière, venue du ciel, inondant les salles, mais aussi traversante par les ouvertures latérales. Alors, l'espace devient matière. Mais cette lumière venue du ciel est toujours très touchante, très surprenante. J'aime ces moments du chantier où il n'y a pas encore les portes ni rien d'autre parasitant ce jeu des volumes (pour paraphraser la fameuse formule de Corbu...). Ce matin, j'ai pensé à Rothko, tout droit revenu du M'zab...
Comment faire en effet pour le rendre de tels moments sensibles visibles à d'autres yeux ?
Car aujourd'hui, à l'heure du tout logiciel, la lumière naturelle, le jeu des matières, le plaisir juste de s'asseoir et de profiter est nié. Juste à côté de ce projet, se termine une mosquée où l'espace public est nié, les doukkanas (bancs intégrés dans la maçonnerie) ont laissé place à des marches tout droit sorties d'un logiciel d'architecture. Tout y est droit, tiré au cordeau, sans égard pour l'ancien espace. Tout est lisse, sans aspérité, clinique. Le bâtiment a perdu toute chaire pour se conformer à grand renforts de peinture à une image numérique. L'histoire du site n'existe plus.
Rien, le vide, la culture de la matière a disparu derrière la transposition du virtuel dans la réalité, en niant ce qui en fait sa force : ses aspérités. Quelle souffrance d'essayer de bien construire en ce moment, face à des marchés peu transparents où le kdoub (le mensonge) est de mise... Pour tous ceux qui aiment l'architecture, la comprennent, en maîtrisent les références, c'est difficile d'accepter cette défiguration en cours de notre quotidien, ici au Maroc. Renzo Piano a dit que de tous les arts, celui qui était le plus criminel lorsqu'il était raté, était l'architecture, car tout le monde la subissait, quotidiennement. On est loin, très loin des architectes sensibles qui réfléchissent, ingèrent une référence, la subsument pour la rendre à nouveau, lui redonner vie. Pour moi, cette réussite passe avant tout par la maîtrise des matériaux... Les maîtriser signifie aussi de ne pas laisser - ici - les bureaux d'études décider des détails mais essayer le dialogue et savoir trancher. Et là maîtriser le CPS signifie beaucoup : il faut être en mesure de décrire et de rédiger des éléments qui n'ont jamais fait l'objet d'un CPS sensé être basé sur le référent initial du Règlement d'architecture national... Les combats sont sur la durée à tous les niveaux de chacune des phases du projet, et ce n'est pas sur le chantier que c'est le plus difficile.
André Ravéreau, La villa M. (collaboration de Philippe Lauwers et la participation de Paul Pedrotti), Ghardaïa, vallée du M’Zab, 1967-68.
Tadao Ando, Église de la lumière, Ibaraki kasugaoka kyokai, Ibaraki, Osaka, Japon, 1987-1989 (Projet réalisé) Maquette, béton, 95,5 x 223 x 101,5 cm Poids 200-300kg...
Rédigé par Salima Naji dans Actualité, Tiznit | Lien permanent | Commentaires (2)