C'était le grand spécialiste des jardins, cette science lui était venue de l'analyse fine en tant qu'agronome, de l'hydraulique du Haouz jusqu'à Marrakech, dont il connaissait toutes les strates historiques, tous les méandres expliquant la naissance et l'évolution de Marrakech, depuis la seguia Tassoultant jusqu'au travail des Almoravides, toutes les khetarras, une ville qu'il a essayé de sauver des spéculateurs - il a tiré toutes les sonnettes d'alarme qu'il pouvait - et dont il a magnifiquement parlé dans ses livres.
Le très regretté Mohammed El Faiz s'est éteint ce dimanche 22 janvier en laissant une oeuvre ouverte. Nous aimions tous son humilité, sa bonté, son intelligence, une courtoisie lumineuse. De son élégance naturelle, dans ce sourire si avenant, il se souciait aussi de transmettre. La première fois je crois que c'était à Dar Bellarj pour l'exposition sur l'Agdal que je le rencontrais. Plus tard, il m'a montré les "canaux" du Haouz dans le détail. Il avait évoqué le Nfis. Il avait pris a peine de me montrer, in situ, les vignes du N'fis il y a plus de 10 ans, qu'il voulait sauver en temps que écosystème reposant sur une espèce endémique, ancienne et spécifique. Nous étions allés voir ces vignes de plus près, et dans l'arrière plan il y avait bien sûr le construit, des édicules aux demeures plus adaptés jusqu'aux moulins à eau et aux fermes-greniers, ceci analysé sur presque un millénaire. Son regard embrassait tout. Je me souviens d'une matinée en faculté avec Ouidad Tebaa où il avait évoqué Safi, sa ville natale. C'était un puits de science. Ses travaux que j'ai toujours lus avec beaucoup de scrupules, étaient profonds, riches, et aussi révélateurs de champs d'intérêt multiples, avec un point de départ : la question de l'or bleu. L'art des jardins arabo-andalous invitait à la méditation. L'économie, la pensée constructive, l'urbanisme avant l'heure, la Ménara, le plus vieux jardin islamique inchangé depuis le XII°. La pensée à ciel ouvert en effet. Maroc et Portugal, Espagne andalouse, un patrimoine commun. Smara et l'urbanisme de Ma El Ainine, toujours la quête de l'eau comme moteur. Un humaniste avant d'être un universitaire, un homme fait de générosité et pourtant érudit, une disponibilité et une gentillesse à la mesure de son savoir et de sa conception du savoir : il restait tourné vers les autres.
Nous aurions tant besoin de figures comme la sienne en ce temps de cynisme. Je suis très triste, et me sens bien orpheline, nous sommes orphelins désormais de sa pensée si belle, de sa gentillesse, de sa réflexion si généreuse, non-achevée à ce jour. Tous ces chantiers, ces acquis qui font date, tout son engagement, sont un modèle. Sa pensée continue en nous tous qui aimions son visage, la lumière qu'il continue de diffuser après ce départ bien prématuré. C'est un très très grand penseur à mes yeux mais que j'admire infiniment parce qu'il était d'abord un homme d'engagement.
Un petit hommage lui sera rendu au colloque berbère du Jardin Majorelle le 25 février prochain. Pour celui qui aurait dû ouvrir cette journée. Paix à son âme.