Lors d'un échange indirect avec des architectes de Casablanca, j'ai découvert que ces splendides régions où je travaille étaient pour eux "misérabilistes". Pour eux, présenter des traditions constructives (revisitées) de notre pays donneraient l'image d'un pays "tiers-mondiste" etc. Mais qu'est-ce que c'est que cette vision post-coloniale de cerveaux traumatisés par une illusion du progrès par les matériaux ? Cerveaux acculturés qui ne connaissent pas leur propre pays ?
Je réponds donc que lorsque l'on a un pays aux traditions constructives si riches, s'identifier à des architectures des années 1990, situées toutes en Europe sans ni comprendre le mot "contexte" ni même en saisir la démarche profonde tout en n'en retenant qu'une belle image à reproduire est très grave. Nous avons finalement là une vision puérile de l'architecture : or une architecture est toujours le produit d'une société à un instant donné. Si elle singe d'autres contextes, cela sera si visible que nous apparaîtrons non pas misérabilistes mais impersonnels, véritablement pathétiques...
Kasbas berbères, de l'atlas et des oasis : les grandes architecturesdu Sud marocain, par Henri Terrasse. Réedition de 1938, Actes Sud, CJB, 2010.
"A l'époque du protectorat français au Maroc des années 1912 à 1956, labibliothèque de la « Résidence » contenait quelques trésors issus des commandes que passait alors le Résident, le maréchal Lyautey, engagé dans une mission ethnographique qui n'a jamais porté ce nom mais qui en avaitbien la forme. On y trouve quelques ouvrages remarquables, sur la musiquetraditionnelle, les arts et traditions, la magie... Enfin, parmi les mieux documentés et illustrés, des ouvrages sur l'architecture urbaine et rurale. Kasbas berbères, est le second ouvrage publié en coédition avec le centre Jacques Berque après Le Jardin et la maison arabes au Maroc de Jean Gallotti. Remarquable autant pour son aspect patrimonial que pour la qualité des images, Kasbas berbères est le récit de la fascination d'HenriTerrasse pour l'architecture du Sud marocain" (Présentation de l'éditeur).
On me demande souvent, dans ce blog, le coût de la terre crue avec comme premier préjugé, un coût prohibitif. Je réponds ici - comme je l'ai dit déjà via la presse à plusieurs reprises : ce pays qui est parmi ceux qui possèdent une longue tradition du pisé, peut continuer à utilir ce matériau sans que cela devienne un must pour quelques riches privilégiés.
Le pisé est environ 1/3 moins cher que le béton armé. Si le parpainage peut paraître moins cher, ses qualités très faibles de thermicité et d'étanchéité vont faire qu'il coûtera, au final, une fois enduit et retravaillé 2 fois plus cher. Et trois fois plus cher que l'adobe au moins. Donc, il ne faut pas s'en priver, ne pas croire les "tâcherons" qui veulent chaîner les structures à tout prix, mais s'entourer plutôt de maçons compétents respectant les règles de l'art de construire élémentaires (pied et chapeau de la construction en hors d'eau).
Ma maison est en pisé. J'ai construit plusieurs demeures en pisé et des bâtiments publics d'assez grande envergure (1700 m²).Nous allons développer encore une modernisation du procédé pour le rendre moins cher encore en nous attachant à simplifier le travail pénible des ouvriers. Ce n'est que comme cela et avec un effort du code de l'urbanisme (travail en cours d'élaboration interministeriel) que les choses se feront. Certainement pas en maquillant les vieilles structures mal chaînées ou en augmentant le coût de cette façon de construire si propre à ce pays.
En voyant tant de lieux quitter les mains des vrais
propriétaires pour un business souvent ravageur, où les opérations commerciales
de type riad se déversent dans le Sud, je voudrais évoquer l'admirable démarche
de Daniel Oblet, son épouse et la famille propriétaire légitime des Oulad
Outhmane du Dra, ainsi qu'il le raconte : "Suite à un séjour touristique
au Maroc, influencé par la lecture d'un vos livres surl'architecture en terre, je me suis décidé en 2006 à
créer cette sociétépour d'abord injecter
officiellement des fonds financiers destinés à restaurer laKasbah Oulad Othmane sans
que notre couple n'en devienne propriétaire(elle appartient toujours à la même famille
"historique"), l'ouvrir ensuite au public pour lui permettre
notamment d'assurer sonpropre avenir.Par
facilité, nous aurions dû en faire musée plutôt qu'un établissement
hôtelier".
Mais, il fallait quelques dividendes pour restaurer cette
merveille immense, que j'ai visitée plusieurs fois avec la même joie, tant le génie architectural
de cette kasbah est admirable.
La restauration commencée en mars 2007 a permis l'ouverture du lieu en maison d'hôtes une année plus tard www.kasbahdumaroc.com.
Le travail de réhabilitation s'est effectué avec les matériaux et les
techniques traditionnelles par des malmines locaux.
Outre la valeur de cette restauration, la sagesse de chacun, ce que j'admire le
plus c'est d'avoir choisi de ne pas en être propriétaire mais juste un passeur,
aider ponctuellement à un sauvetage.
Les baux emphytéotiques, les sociétés à participation égale, les mécénat
directs avec droit de regard, les dotations sur projets, toute pratique que je
fais dès que je le peux, sont, à mon sens importantes pour qu'on évite un
néo-colonialisme rampant, et une porte ouverte à une xénophobie dont il faut se
garder pour ce pays. Mais aussi, pour le monde rural, éviter des phénomènes de gentrification trop importants.
Ayant entendu plusieurs fois, dans le Sud, ces derniers temps, "Nous
allons devenir comme les Palestiniens". Il faut réfléchir à des solutions : la
Turquie interdit la vente directe du patrimoine bâti à des étrangers, En Inde et dans beaucoup d'autres pays, l'Etat exige la constitution de sociétés à participation
et il est interdit aux étrangers d'acheter. La location sur la longue durée est la seule garante de l'absence de dépossession des populations locales. L'endogénisation progressive est la seule solution pour éviter les rejets violents.
Je vois trop de petits malins, achetant à tire-larigot, négociant âprement le
prix, se comporter ensuite d'une façon méprisante et condescendante à l'égard
de leurs nouveaux voisins, sans même se poser la question de l'aide, de la
création de quelque chose en retour, de la mise à profit d'un réseau réellement
solidaire pour pouvoir l'être dans l'échange et non dans le profit à court terme. Il génère une colère sourde qu'il faut savoir écouter et calmer.
Les grandes villes historiques
du Royaume, Marrakech, Fès et Tanger sont plus internationales que jamais, l’investissement
dans ces grandes villes n'a pas apporté que du négatif et a sauvé de nombreux lieuxdans un premier
temps. Mais, comme tout, il faut de la mesure. Il faudrait désormais que cela
soit encadré par des lois plus strictes, plus responsables sur la durée. Et que le monde rural soit protégé.
Bien sûr, le désir de nombreux de posséder pour toujours, est plus fort et ils sont déjà prêts à se constituer en un puissant lobby.
Qu'ils se méfient : la propriété ne vaut rien dans une société dépacifiée.
Pourquoi travailler sans relâche à la valorisation du patrimoine architectural?
Pourquoi s'intéresser à des constructions en terre et en pierre à l'heure du tout béton?
Pourquoi travailler avec des communautés démunies vivant dans la misère?
Pourquoi s'imposer tout cela alors que l'on a un parcours d'excellence validé par de nombreux diplômes, que l'on peut vivre et que l'on a vécu dans des pays riches et prestigieux, que l'on peut choisir de prendre des marchés beaucoup plus rentables dans des villes beaucoup plus accessibles en ne rencontrant que des administrations bien huilées?
La réponse est simple, parce que le Maroc est traversé par les fureurs de la brutalisation culturelle. Au nom de la modernité, au nom de l'urgence économique, trop souvent, on oublie qu'un pays que l'on ne respecte plus, se meurt. Il faut certes construire dans les villes, les indispensables logements mais pourquoi le faire sans jardin, sans espace agréable alors que toute l'urbanité marocaine était de ménager des espaces où il faisait bon s'arrêter (un petit jardin, une fontaine et un arbre). Trop de nouveaux quartiers préparent la brutalisation des hommes. Combien il est difficile voire impossible de convaincre élu et maître d'ouvrages des quartiers dits populaires qu'un jardin, une avenue plantée d'arbres ne sont pas des gadgets, difficile à gérer, mais un espace d'humanisation?
De plus, il ne faut pas oublier les campagnes qui elles aussi subissent de façon soudaine, les fureurs destructrices. Alors que l'espace ne manque pas, les modernistes veulent détruire les bâtiments collectifs qui portent en eux l'histoire du pays.
Il sont
fascinés par l'art du lisse, du clinquant, du lifting monstrueux qui transforme
ce qui fait les spécificité d'un territoire en un masque gris, sans signes
distinctifs. Or, un pays comme le Maroc est le produit d'une longue
accumulation historique. Chaque monument peut être vu comme un trait de son
visage. Tous sont uniques, mais ensemble ils forment un tout et donne son
caractère, où la diversité devient générosité. Certains traits sont plus douloureux, ce sont des cicatrices rappelant une histoire malheureuse (la guerre, la
misère) à peine refermée comme une plaie, mais avec le temps ils deviennent
comme une ride, marqueur d'un âge vénérable et apportent la sagesse. Or c'est
cela un pays, c'est une mémoire source d'avenir et de créativité. Car tout ce
qui s'est produit, qui a été ingéré par les sociétés marocaines qui se
recomposent sans-cesse, devient la force vitale qui pousse un pays jeune vers
l'avant.
Aujourd'hui, le Maroc s'ouvre à la mondialisation et se trouve devant deux
choix. Il peut copier sans recul des modèles véhiculés par la parabole, déversés
à force de litanies simplistes où tout se consomme le coca-cola comme la religion, ou bien créer et devenir à son tour un modèle,
une source d'inspiration, proposant sa propre voie.
Pour mon cas, j'ai choisi la deuxième possibilité et je crois que je ne suis pas la seule.