A un instant du projet, on ne capte plus que sa lumière, et c'est difficile à rendre. La qualité d'un espace, ici construit en terre crue, se lit dans sa lumière. Soudainement, il s'illumine. Ce matin sur le chantier, j'en photographiais la lumière, venue du ciel, inondant les salles, mais aussi traversante par les ouvertures latérales. Alors, l'espace devient matière. Mais cette lumière venue du ciel est toujours très touchante, très surprenante. J'aime ces moments du chantier où il n'y a pas encore les portes ni rien d'autre parasitant ce jeu des volumes (pour paraphraser la fameuse formule de Corbu...). Ce matin, j'ai pensé à Rothko, tout droit revenu du M'zab...
Comment faire en effet pour le rendre de tels moments sensibles visibles à d'autres yeux ?
Car aujourd'hui, à l'heure du tout logiciel, la lumière naturelle, le jeu des matières, le plaisir juste de s'asseoir et de profiter est nié. Juste à côté de ce projet, se termine une mosquée où l'espace public est nié, les doukkanas (bancs intégrés dans la maçonnerie) ont laissé place à des marches tout droit sorties d'un logiciel d'architecture. Tout y est droit, tiré au cordeau, sans égard pour l'ancien espace. Tout est lisse, sans aspérité, clinique. Le bâtiment a perdu toute chaire pour se conformer à grand renforts de peinture à une image numérique. L'histoire du site n'existe plus.
Rien, le vide, la culture de la matière a disparu derrière la transposition du virtuel dans la réalité, en niant ce qui en fait sa force : ses aspérités. Quelle souffrance d'essayer de bien construire en ce moment, face à des marchés peu transparents où le kdoub (le mensonge) est de mise... Pour tous ceux qui aiment l'architecture, la comprennent, en maîtrisent les références, c'est difficile d'accepter cette défiguration en cours de notre quotidien, ici au Maroc. Renzo Piano a dit que de tous les arts, celui qui était le plus criminel lorsqu'il était raté, était l'architecture, car tout le monde la subissait, quotidiennement. On est loin, très loin des architectes sensibles qui réfléchissent, ingèrent une référence, la subsument pour la rendre à nouveau, lui redonner vie. Pour moi, cette réussite passe avant tout par la maîtrise des matériaux... Les maîtriser signifie aussi de ne pas laisser - ici - les bureaux d'études décider des détails mais essayer le dialogue et savoir trancher. Et là maîtriser le CPS signifie beaucoup : il faut être en mesure de décrire et de rédiger des éléments qui n'ont jamais fait l'objet d'un CPS sensé être basé sur le référent initial du Règlement d'architecture national... Les combats sont sur la durée à tous les niveaux de chacune des phases du projet, et ce n'est pas sur le chantier que c'est le plus difficile.
André Ravéreau, La villa M. (collaboration de Philippe Lauwers et la participation de Paul Pedrotti), Ghardaïa, vallée du M’Zab, 1967-68.
Tadao Ando, Église de la lumière, Ibaraki kasugaoka kyokai, Ibaraki, Osaka, Japon, 1987-1989 (Projet réalisé) Maquette, béton, 95,5 x 223 x 101,5 cm Poids 200-300kg...